« La gangrène vicieuse du harcèlement
Porcs puants, parcellement, morcellement
saleté rampante, insidieusement, chancellement,
décèlement de ton humanité
musellement journellement,
Amoncellement de saloperies cruellement amassées
Épuisement sans étincellement
Scellement d’empellement
tellement d’emmêlement mortellement
cisèlement de reproches, d’humiliations, de frustrations
nivellement d’horreurs tellement souvent répétées
que finalement les voilà incrustées
dans ton cerveau, sous ta peau
cruel rituel de martèlement criminel
craquellement sensuel charnel
la vie infidèle lâche lâchement »
Élaine repose son micro et tire la langue sous les cris et les applaudissements.
Grosse prod, gros morceau.
Tout le lycée est là.
Immense ambiance.
Beau succès.
David approuve d’un signe de tête.
Félicitations. Tu as sacrément évolué.
Elle s’avance, effectue quelques pas de danse.
Installé derrière une table de mixage, Thomas lève le pouce.
Aussitôt l’instru reprend. Petite mélodie, quelques notes répétitives, basses qui résonnent, profondes.
Adèle va attaquer son flow.
« Yep yep ! »
Des cris d’encouragement.
David n’a jamais entendu son rap.
Il est curieux.
Milla vient le rejoindre, appareil photo en bandoulière.
Elle est radieuse.
— J’ai des images géniales !
Elle se plaque contre lui, les bras passés autour de ses épaules.
Ils ont laissé la moto dans sa cachette et ont rejoins la ville en bus.
— Adèle assure, chuchote Milla.
— Grave.
« Le poison de l’isolement, macabre,
Tellement dévastateur »
« Tu crois que je vais te saouler toute la soirée ?
Pas mon genre. »
Nouveaux cris et sifflements.
Les basses redoublent.
« Portrait de femmes.
Affames, infâmes, diffames
Battements de mille cillements, déploiement,
Aboiements violents
Roulements de hanches agiles
Isolement
Voilées, révélées
Agilement
Broiement, brisement, feulements, hurlements.
J’t tariffe, femme.
Nous nous agriffâmes, surchauffâmes, esclaffâmes
Flammes ébouriffantes
Regards sacrés
Ebourriflammes, poufflammes
Giclement, boitements
Rituellement, sensuellement, charnellement
Officiellement infidèles
Solennellement sexuelles
Maternellement consensuelles
Partiellement criminelles
Virtuellement sensorielles
Follement dociles
Follement lucides
Follement indiscibles
Follement pellucide
Suicide trucide acide
Apside zincide
Subside placide
Wouh ! »
Silence brutal.
Adèle s’incline longuement, elle a tout donné, tout le monde est sous le choc, groggy.
La foule se réanime et reprend des couleurs et un tonnerre d’applaudissements retentit et roule sur la place.
David frissonne.
C’est énorme. À couper le souffle.
Jamais je n’aurais cru qu’elle oserait.
Au fond, il est fier d’elle.
Milla est de retour.
— C’est du feu ce qu’il vient de se passer. Du feu !
Elle l’attrape par le cou et l’embrasse.
Thomas annonce alors l’imminence de l’illumination de la fresque.
La musique se fait plus forte et un projecteur s’allume.
En pleine nuit, l’immense peinture prend toute sa valeur.
Nouveau tonnerre d’applaudissements.
Et puis tout le monde se met à danser.
Une foule énorme.
Qui bouge. Qui saute. Qui remue, gesticule avance et recule.
David bat en retrait.
Il déteste danser.
Alors il observe.
Milla qui photographie l’évènement, Élaine qui fume une cigarette, Adèle qui ne le quitte pas des yeux, Julie en grande discussion avec Solenn et Noah, Thomas qui balance les watts. Tout son monde est là, réuni ce soir. Son monde. Ses amis.
Il profite de ce moment suspendu, ce temps d’amitié réconfortante.
Une main se pose sur son épaule.
— David ?
Une présence troublante.
Il ne se retourne pas immédiatement.
Il laisse la sensation s’épanouir.
Il reconnaît la tonalité grave de la voix, mais ne parvient pas immédiatement à mettre un visage.
Sa peau se tend.
Il se passe quelque chose.
La main reste posée.
Parfum de femme.
Piquant.
Tabac.
Il adore.
Ils sont ent tous les deux immobiles, temps figé fixé tendu.
Il reconnait la voix.
— Qu’est-ce que vous voulez ?
Ce n’est pas ce qu’il souhaite dire.
— Je suis là, corrige-t-il.
— J’aimerais vous montrer quelque chose.
Enfin il se retourne.
Visage grave, mais vaguement souriant.
Trouble.
Camille.
La femme flic.
Elle lui tourne le dos et se dirige vers une voiture.
David la suit.
Il prend place à l’arrière, à côté d’elle.
Il écoute sa respiration lente.
— Je peux fumer ? demande-t-elle.
— Bien sûr.
L’odeur fine du tabac blond se répand dans l’habitacle.
David attend.
Tranquille.
Curieux.
Elle allume son téléphone et le lui tend.
Une vidéo. Une moto qui dégringole à toute vitesse l’aqueduc et qui disparaît dans la forêt.
Il reste silencieux.
— C’est toi ? l’interroge la voix grave.
Inutile de répondre, elle sait. Et elle sait qu’il sait.
— Pourquoi tu fais ça ?
Pas l’ombre d’un reproche.
Un simple questionnement.
— Et lui ?
Une photo d’Angelo.
Il ne dit rien.
— Si tu le croises, dis-le-moi.
Pourquoi je ferais ça ?
— Cet homme est dangereux. Il organise des paris et des courses. Il enrôle des jeunes, profite de leur insouciance pour leur faire prendre des risques terribles, les filme, diffuse les vidéos et gagne de l’argent. Beaucoup d’argent. Et plein de ces jeunes sont morts.
David serre les poings.
— Regarde ces visages.
Les photos défilent. Portraits de jeunes garçons, mais aussi une fille.
— C’est Lauren.
Regard noir franc, taches de rousseur, sourire en coin, cheveux en bataille.
Une brutale envie de la connaitre s’empare de David.C’est elle.
— Elle est décédée dans un accident de moto il y a 2 mois. Encastrée dans un poids lourd sur le périf de Strasbourg.
Un tressaillement commence à tirailler sa poitrine.
— Cet homme se déplace très souvent et vient de s’installer dans la région. David, il y a des mois qu’on le cherche. Tu peux m’aider à le coincer ?
Le trouble que lui procure cette femme se relâche.
Elle allume une nouvelle cigarette.
Son parfum suave.
Plus loin, la musique reprend.
Élaine rap son dernier morceau.
Il l’a aidé sur certaines paroles.
La musique est excellente.
— Je vous laisse, dit alors David.
Et il sort rejoindre la fête et l’excitation qui vient de naître du son d’Élaine.
Camille le regarde le jeune homme s’éloigner.
Terriblement troublée.
Terriblement envieuse.
Terriblement désireuse.
La portière s’ouvre et quelqu’un prend la place de David.
– Alors ?
Simon.
Camille se tend brutalement.
— Qu’est-ce que tu fiches ici ? grince-t-elle d’un air mauvais.
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