Une odeur pestilentielle les prend tous à la gorge.
— Bon sang, j’ai jamais senti un truc aussi atroce.
Simon attrape un mouchoir au fond de sa poche et le plaque contre son nez. Même comme ça, une nausée tenace lui retourne l’estomac. Il tente de faire quelques pas. Hésite. Il va vomir, c’est certain.
Il jette un œil vers Camille.
Qu’est-ce qui peut bien puer comme ça ?
Sa supérieure avance d’une démarche assurée.
Comment fait-elle ?
Elle n’a pas l’air de se soucier de la puanteur. Parvenue au fond de la pièce sombre, elle soulève le couvercle de la fosse, se penche, éclaire avec sa lampe, contemple un court moment le spectacle terrifiant, semble attendre Émile, puis referme, voyant qu’il n’arriverait probablement jamais jusque-là.
Elle rebrousse chemin et disparait à l’air libre.
Simon ne peut pas se retenir et vomit sur le mur.
Il fait marche arrière et sort à son tour.
Deux flics se tiennent à l’entrée du hangar, éloignés le plus possible de l’odeur.
-— Alors Capitaine ? demande un des flics.
— C’est comme vous avez dit, horrible ! confirme Camille.
— Comment quelqu’un a-t-il pu faire ça ?
Simon est vert comme s’il avait bouffé des mouches.
Il s’approche de Rodolphe, le photographe du Labo qui fume clope sur clope pour faire passer l’odeur.
— Jamais je ne m’habituerai à cette saloperie de puanteur de mort, râle-t-il.
Rodolphe lui propose une cigarette.
— Il ne manquerait plus que je me remettre à fumer !
Pourtant, il accepte la cigarette, l’allume précipitamment et tire dessus comme si sa vie en dépendait.
— T’as pu shooter ?
Rodolphe fait oui de la tête, dans un état similaire au sien et lui tend l’appareil photo.
Simon fait défiler les prises de vues.
– Nom de Dieu, jure-t-il. C’est pas vrai !
Une cinquantaine de chiens pourrissent dans la fosse, le ventre gonflé de vers, baignant dans un jus ignoble. La plupart n’ont plus de pelage. Une véritable boucherie.
Simon sent son estomac se contracter à nouveau.
— Moi, je ne peux pas m’approcher. Il y a quelque chose qui est trop fort, murmure Rodolphe, comme à lui-même.
Simon est trop mal pour l’écouter.
— C’est comme une voix qui crie. C’est insoutenable.
Camille pose un regard sur lui.
Il ne parvient pas à lire dans ses yeux.
Elle semble troublée.
Mais cela ne dure pas.
Simon s’éloigne à la hâte, contrarié par son estomac qui se serre, tente de tenir bon à coup de profondes respirations. Mais des bribes de puanteur lui reviennent et il ne peut pas se retenir davantage. Il se penche sur un buisson et gerbe dedans.
Personne ne songe à le chambrer ni à faire de commentaire.
Il n’y a rien de drôle dans ce qu’ils viennent de découvrir.
— Qu’est-ce qu’on va en faire ? demande un flic.
— Rien du tout. On ne touche à rien, dit Camille. On va mettre le Labo dessus.
Les pauvres.
Sale boulot.
— Quel est le taré qui peut faire des atrocités pareilles ?
— Dans quel monde de dégénéré on vit ?
Parce que même sans être un grand fan de chiens, Simon ne peut rester insensible à ce carnage ignoble. Pourquoi avoir tué un tel nombre de chiens ?
Camille fait les cent pas devant le sous-sol qui abrite la fosse.
— À qui appartient ce taudis ?
Les deux flics se regardent. Ils hésitent. Camille s’aperçoit de leur malaise.
— Qu’est-ce que vous savez ?
Sa voix se fait soudain pressante. Un des flics hausse les épaules et l’autre explique :
— À un garagiste.
— Connu ? demande-t-elle.
— On peut dire ça, continue le flic.
— Il bosse pour nous, lâche son collègue.
— Pour nous ? ajoute Camille.
— Pour la Police, je veux dire…
— Ah…
Voilà autre chose.
Simon finit sa cigarette.
Il regarde Camille.
Belle femme, élancée, les cheveux noirs ramenés en arrière en chignon fantaisie, long manteau en tissus sombre, bottes, jambes fines, visage volontaire. Et ses yeux. Il n’a jamais vu des yeux comme les siens. Clairs et lumineux. Brillants d’une grande intelligence. Capables de mettre à nu le plus sceptique des abrutis. Luisants d’une douce bienveillance et d’une empathie qui semble sans limites. Parfois extrêmement sévères quand les évènements ne tournent pas comme elle le souhaite. Ou très méprisants si quelque chose la déçoit.
Beaucoup de caractère.
Belle silhouette.
Presque sexy si on enlève cette volonté farouche d’avoir toujours le dernier mot et cette attitude légèrement dédaigneuse et agaçante de savoir qu’elle a toujours raison.
Il s’approche.
Il se sent mieux.
— Le nom du garagiste ?
— Robert Taurin.
— Je ne connais pas de Taurin.
— On l’appelle aussi le Baron Noir.
Camille et Simon voient alors aussitôt de qui il s’agit.
Un espèce de type plutôt petit, l’œil lubrique, mal rasé, tête de rat sans les moustaches, en plus poilu. Le genre de type qui a passé sa vie à se débrouiller pour avoir son grain de sel à ajouter dans à peu près toutes les histoires de la ville. Le type que tout le monde connaît, au moins par ouï-dire, qui embauche toujours les grands frères quand ils ont une galère, celui dont la moitié de la ville est redevable de quelque chose, celui qui a réussi à se rendre indispensable et qui est incontournable.
— Le genre de gazier qui est partout, dit Rodolphe.
— Impliqué dans tous les bizness, confirme un des flics.
— Même dans les histoires de chiens crevés, conclut Simon.
— Pourquoi des chiens ? demande Camille.
— C’est mieux que des gosses.